Nous avons accueilli Marie-Madeleine, qui était volontaire pour l’association de la Communauté de Taizé et qui a vécu pendant 3 mois au sein d’une favela. Une image valant milles mots, l’intervention commence sur un  extrait du film «  La cité des Dieu » : un film brésilien qui raconte la vie dans les favelas de Rio de Janeiro dans les années 1960. Vient ensuite son témoignage où elle reprend les parties du film pour expliquer ce qu’elle a pu en voir sur place de similaire et de différent.

«  De septembre à décembre 2018, j’ai été volontaire dans les favelas d’ALAGOLINHAS au Brésil. La veille du départ, j’étais tellement angoissée que je n’ai pas pu dormir de toute la nuit. »

  • Qu’est – ce qu’est une favela ?

Une favela ou bidonville brésilien est un regroupement de « maisons » de fortunes, de logements insalubres construits avec des matériaux de récupération. Elles sont généralement situées en périphérie des villes, sur des terrains occupés illégalement et contrôlés par le trafic de drogue.

Marie-Madeleine raconte : « Ce qui m’a le plus choquée, c’est que la vie dans une favela n’a aucune valeur. NADA. C’est l’impression qu’à n’importe quel moment tout peut basculer et que tout le monde trouve ça normal, s’y soit préparé et même résigné. Ça c’était le plus dur pour moi, c’était contraire à tout ce que j’avais pu expérimenter auparavant. Rien que, par exemple, si l’on prend une fiche d’assurance ici on peut associer notre vie ou simplement une partie de notre corps à une valeur monétaire ou à une valeur sociétale. Là-bas c’était comme si cette valeur n’existait tout simplement pas ou seulement pour la famille. » Le silence règne dans la salle. « Ici, nous nous sentons protégés mais là-bas non. C’est très flippant quand tu te trouves dans un pays où tu ne connais personne et où les coutumes, l’histoire, la langue te sont étrangères. Quand nous sortions dehors avec l’autre volontaire, cela devait se faire sans aucun objet de valeur, donc pas de téléphone et très peu voir pas du tout d’argent. Pour se guider, on devait donc faire des plans en papier avec Google Maps. Mais une fois dehors, certaines parties de la favela ayant été construites n’importe comment, il était facile de se perdre. C’était d’autant plus flippant que j’étais incapable de comprendre les indications données par les habitants et en incapacité d’appeler quelqu’un pour demander de l’aide en cas de problème puisque mon téléphone ne m’accompagnait pas. Au final, la peur c’est pas du tout ce dont on se rappelle à la fin, et malgré les petites frayeurs j’ai adoré mon expérience sur place. Ce qui me reste en mémoire, c’est le bonheur que je ressentais quand j’étais avec les enfants, c’est la gentillesse du personnel et des habitants qui m’ont ouvert les bras, c’est les fous rires et la complicité avec l’autre volontaire et toutes les rencontres que j’ai pu y faire. Dans tous les cas, c’est une expérience dont on sort grandi et gagnant

Les questions des élèves :

Question : « Que pourriez –vous dire à un jeune qui se laisse aller, qui n’a pas envie de se battre dans la vie ou voir qui est complètement démotivé par beaucoup de choses ? Quels seraient les mots que tu pourrais trouver pour ceux qui sont des esclaves des objets technologiques, par exemple, les jeux vidéo et qui passent des heures dessus en mettant complétement de côté l’école ? »

MM : « Je vous propose ou plutôt je vous conseille d’aller là-bas. C’est peut-être flippant, ultra flippant, mais ça fait relativiser sur tout et on gagne rapidement en maturité. En plus, il n’y a que peu d’internet sur place donc pas de choix, pas de jeux. Et il y a tellement à faire et ça passe tellement vite qu’avec ou sans jeux, on est tout aussi bien. »

Question : « Nous n’avons pas besoin aller là-bas, chez nous aussi il y a des endroits comme ça. »

MM : « Oui, bien sûr, on a aussi du travail à faire ici. Mais je pense que là-bas, c’est quand même un autre niveau. J’ai choisi de partir là-bas parce que je savais que ça allait être une immersion totale, du H24 ; chez nous, il y a des éducateurs qui aident, des aides financières conséquentes de l’Etat et pas seulement 10 euros comme là-bas, il y a aussi des droits au logement. Notre système n’est pas parfait mais il y a quand même beaucoup de mesures mises en œuvre. Là-bas, sans les associations comme Taizé, ils ne pourraient pas vivre d’une manière humainement respectable. Ils sont abandonnés des politiques gouvernementales, je dirais même qu’on a l’impression que l’Etat travaille contre eux. Et ce, particulièrement avec l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro, appelé aussi le « Tropical Trump », qui a fait plus que comprendre son point de vue en ce qui concerne les aides sociales et les personnes de couleurs.»

Question : « Quelle langue parlent-t-ils là-bas ? Comment avez- vous communiqué avec eux ? »  

MM : « Avant d’aller sur place, j’avais pris deux, trois cours de portugais. J’avais surtout écouté des séries en portugais mais ça ne m’a pas du tout aidée parce que l’accent brésilien était tellement différent du portugais que je n’arrivais pas à identifier les mots. Pour le coup, j’ai quasiment tout appris sur place, et oui j’ai énormément galéré. Les premières semaines étaient très dures. C’était très frustrant et déroutant de ne pas arriver à communiquer quand c’était nécessaire et on se rend vite compte à quel point c’est handicapant au quotidien. »

Question : « Est-ce qu’ils ont accès à la télé et est-ce qu’ils peuvent voir comment ça se passe ailleurs ?  Et vous est- ce que vous avez pu voir des programmes télé d’ici ? »

MM : « Oui certain, mais à la télé c’est que des gens blancs au mieux métisse, ça ne transpire pas la diversité. Je pense que ça confirme l’idée malheureusement trop répandue que la valeur est liée à la couleur. Par exemple, à l’école, beaucoup de petites filles ou garçons m’ont dit qu’ils souhaitaient avoir ma couleur de peau, des yeux, des cheveux châtain/blond ; ou encore, je me suis fait reprendre par des enfants, des adolescents quand je faisais des tâches manuelles et salissantes qui n’étaient pas « dignes » d’une blanche en particulier d’une femme. En ce qui concerne la deuxième question, alors non je n’avais pas accès à la télé du coup ce sont les enfants à l’école qui m’ont annoncée le mouvement des Gilets Jaunes. C’était assez drôle parce qu’ils pensaient que la France était en guerre et me demandaient si j’allais pouvoir rentrer chez moi et si j’allais être en sécurité. »

Question : « Quel est l’impact des joueurs de foot brésiliens qui ont réussi là-bas et en Europe ? Ils viennent des quartiers comme eux, est-ce que ça les affecte ? Avez – vous une idée ? »

  1. « De ce que j’en ai vu, ils en sont très fiers. Les premières remarques que j’ai eues quand les enfants et surtout les adolescents ont su que j’étais française c’était « Ah tu es française, donc tu connais Neymar. Oh Neymar, Neymar il est de chez nous hein ! » Pour eux, je pense que c’est une idole et c’était très impressionnant de voir quand ils parlent de foot parce qu’ils en parlent avec passion et qu’ils connaissent tous les joueurs de l’équipe de France du Mondial et même les remplaçants. C’est d’ailleurs eux qui m’ont appris qui était sur le banc des remplaçants. »

Question : « Qui sont les frères qui les aident ? »

MM : « Ce sont les frères de Taizé, une communauté religieuse dont la maison mère se trouve en France dans la ville de Taizé d’où leur nom. Ils se sont développés dans plusieurs pays dont au Brésil depuis 50 ans pour aider, vivre et partager la vie des gens sur place. C’est eux qui ont tout construit là-bas et qui ont permis aux gens d’avoir un accès à l’eau, à l’éducation, à des maisons et j’en passe. Ils ont fait un travail formidable et ont également un projet appelé « Brincadeira » qui signifie « espace des jeux » ou encore « plaisanterie ». C’est un espace formidable qui permet aux enfants non scolarisés d’avoir accès à une éducation durant la matinée. L’idée c’est que celui qui en sait le plus apprend à celui qui en sait le moins. La Brincadeira, c’est aussi un espace de jeu où les enfants sont libres, en sécurité, sous la surveillance et l’attention des adultes et où ils peuvent juste être des enfants. Et je pense qu’ils ne demandent que ça d’être entourés, aimés et aidés. La Brincadeira, c’est encore 2 repas par jour et c’est énorme. Le staff est assuré par les premières générations d’enfants qui ont profité de la Brincadeira et qui s’investissent maintenant pour que les générations actuelles aient la même chance qu’eux. D’ailleurs, la venue des frères a été une telle source de joie pour les habitants qu’en hommage les habitants ont rebaptisé le quartier « Nova Esperança » c’est-à-dire « Nouvelle Espérance ». »

Pour en savoir plus, rendez – vous sur le site de la communauté, www.taize.fr, dans l’onglet communauté « Les frères qui habitent ailleurs ».

Les retours des élèves sur l’intervention

R. JANIEC